Vendredi 11 mars 2022
Histoire recueillie par notre collaborateur, Michael Feit, au centre communautaire soutenu par Caritas Luxembourg à Chisinau en Moldavie:
J'ai rencontré Ludmilla au centre de réfugiés de Caritas à Chisinau. La vieille dame était assise à la fenêtre, le regard plongé dans le brouillard qui enveloppe la ville depuis des jours. On voit à peine 10 mètres devant soi, il fait froid, tout est gris et sale. De plus, l'humidité s’immisce dans la moindre fissure. Tout un symbole pour Ludmilla et le pays d’où elle vient!
Elle se tient près du radiateur, vêtue d’un chandail gris, et elle a très froid, du moins elle tremble. Il n'est pas facile d'attirer son attention. Ses pensées se promènent loin dans le brouillard, même si elle ne regarde pas la bonne direction. Qui sait où se situe son avenir, à l'est ou à l'ouest ?
La femme aux cheveux grisonnants a une apparence très soignée. Presque tous les réfugiés sont soignés: ils se sont habillés avec élégance, se sont maquillés,.... Ludmilla aussi s’est maquillée.
Je me suis assis avec elle et nous avons regardé le brouillard. Elle me connaît de vue maintenant. Ici, employés et réfugiés vivent côte à côte, prennent le petit-déjeuner ensemble, se croisent dans le couloir la nuit quand personne n’arrive à dormir, malgré l'épuisement.
Ludmilla commence à raconter. Elle raconte ce qu’elle a ressenti quand elle a dû quitter sa maison en Ukraine. Cette maison qu'elle a construite avec son mari, où sont nés ses quatre enfants, où sa fille vit maintenant avec sa famille, où même un petit-enfant est né. Elle raconte le jour du départ: ils sont tous partis ensemble, Ludmilla, deux de ses filles, quatre petits-enfants et cinq arrière-petits-enfants. Les adieux à la maison, les adieux aux maris, aux pères. Les larmes et les cris des enfants. Certains hommes étaient déjà partis, avaient déjà rejoint l'armée, un autre se prépare à partir aussi, un autre encore veut rester pour protéger la maison. Ils ont roulé vers la frontière à trois voitures. De la pluie, de nouveau les cris des enfants fatigués. Ils ont de la chance, ils passent rapidement la frontière pour continuer vers Chisinau. Après trois heures d'attente et trois heures de route, ils arrivent à Caritas, ont trouvé l'un des nombreux volontaires qui emmènent les réfugiés avec eux en bus. Ils ont obtenu l'adresse de Caritas par une amie. « Un super endroit », avait-elle dit. Ludmilla me regarde lorsqu’elle prononce cette phrase. « Un super endroit? Non, ça c’est à la maison avec sa famille. Mais merci quand même. »
Elle ne dit plus rien, sachant que ma prochaine question sera sur ce qu'elle va faire maintenant. A la place, elle sort un petit album photo de la poche de sa veste, le plus grand trésor sauvé. Bien sûr des photos des garçons, des hommes, des enfants, des petits-enfants et des arrière-petits-enfants, mais aussi beaucoup de photos professionnelles d'elle-même. Wow, les clichés sont superbes! Elle était actrice, me dit-elle, une célébrité locale, une beauté, un sujet pour la presse people, ajoute-t-elle fièrement. Je m’arrête sur une photo qui me paraît plutôt ancienne: je la trouve éblouissante, en pleine fleur de l’âge. Elle rit ouvertement. « C'était à Noël dernier ».
Finalement, elle répond à ma question par des questions : « J'étais si heureuse, nous avions tout ce dont nous avions besoin. Pourquoi? Que s'est-il passé soudainement ? Qu'est-ce que je vais faire à mon âge ? Je ne suis qu'un fardeau. »
Son mari n'a pas pu venir, trop faible. Il l'a forcée à partir, même si elle voulait rester.
Que dois-je lui répondre ?
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